IVRESSE
Poèmes sur le vin
Auteur : Merlin Salerno
Critique Littéraire par Hélène Dassavray
Le vin et la poésie ont toujours fait bon ménage, comme des compères en tournée dans les bars, tous deux détenant les secrets de l’ivresse. Les célèbres poèmes d’Omar Khayyam ou de Charles Baudelaire sur le vin ont traversé les siècles, tels de bon crus, atemporels et universels.
Dans le recueil de poésie Ivresse de Merlin Salerno, on peut sentir que ces grands crus ont été éclusés, sans doute jusqu’à la lie, mais d’autres alcools ont été cuvés, d’autres bouteilles vidées, celles de l’autre Charles, par exemple. Quand on parle d’alcool et de poésie au XXIe siècle, Bukowski traîne forcément dans les parages. Quelques images donnent l’impression qu’il est accoudé au comptoir, là, juste à côté. « Ce clochard que personne ne veut incarner »…
Dans la poésie contemporaine, la rencontre entre Baudelaire et Bukowski semble naturelle comme un vin où l’on mélange des cépages et qui bien dosé régale l’esprit autant que le ventre, sans oublier le sexe, jamais bien loin.
ange pornographique
giclant
dans nos routines casanières
Ces poèmes sur le vin emmènent dans les dérives de la nuit ou aux petites heures de l’aube quand le vin est bu et que « L’aurore titube entre deux mondes ». Quand certaines vérités apparaissent éclairées par un dernier verre. Chaque poème se lit comme une bouteille que l’on ouvre, avec son propre parfum, sa couleur, ses saveurs. Pareil à un verre de vin, chaque poème se boit lentement pour en apprécier la teneur et la profondeur, à chaque fois un autre appel, et l’appel d’un autre.
« le goût de la lumière
des promesses du vin
en suspend ».
Les mots comme le vin peuvent être à la fois fragiles et âpres, complexes dans leurs saveurs. La langue est vivante, elle réjouit quand elle claque, c’est le propre de la littérature, plus encore celui de la poésie, ici elle peut être à la fois simple, percutante, accorte, crue, dans le même poème.
Des souvenirs d’enfance jusqu’à la mention du dernier souffle, l’ivresse y prend différents visages mais reste l’ivresse, celle de l’amour mêlée à celle du vin. « le Bourgogne se sublime dans le vertige de ton entrecuisse ». Cette ivresse d’essence divine, « Celle de Dieux s’emmerdant dans l’empyrée gavés de leur omniscience et plénitude ». Mais si l’alcool nous donne parfois le sentiment de devenir un dieu, impossible d’échapper à ce vers ou ce mot qui vous rappelle que si la poésie comme le vin atteint des sommets, elle fréquente aussi les rues et les caniveaux, et même les chiottes, où l’auteur s’amuse à penser que vous lirez son livre.
Le vin, les mots de ces poèmes, leur sensualité et leur essence donnent un alcool singulier qui sonne comme un « pourboire laissé sur le comptoir des instants volés ».
« Le vin, c’est trouver un peu d’humanité dans un enfant de putain qu’on enlace »
Fils d’une poète et d’un vigneron, Merlin Salerno s’est fait tatouer sur un bras un tire-bouchon, sur l’autre un stylo, au milieu il y a le cœur et ce recueil d’ivresses.
Parce que le vin : « C’est ce torrent submergeant l’écluse inconsciente de nos excuses de vivre »
mais aussi « C’est trouver un peu d’humanité dans un enfant de putain qu’on enlace ».
Dans ce « Rade de resquilleurs du sort » coule à flot l’ivresse de l’existence, aussi merveilleuse que ténébreuse, faite d’évidences, de frottements, et de flottements.
À lire comme on ouvre une bouteille de vin avec un pote ou une amie et, qu’ensemble, on traverse la nuit.